(Photo © Aurélien Digard
16 juillet 2021
Vous venez d’enchaîner trois résidences à Lyon Genève et Paris. Pour Paris, on sait que c’est un duo avec Claire Gapenne, plus connue sous le nom de Terrine. Ça risque d’être assez terrible, on peut en savoir plus ? Et sur les autres résidences ?
Avec Claire nous avons eu la chance de faire une résidence aux Instants Chavirés à Montreuil en janvier 2021, puis une autre à Grrrnd Zéro à Lyon en avril 2021. Claire est une artiste que j’ai souvent croisé sur la route et dont j’apprécie beaucoup la musique, dans son solo Terrine ou encore son duo Me donner. Comme nous utilisons de manière non conventionnelle la même marque de machine, il était temps que l’on essaie de faire un duo. Duo qui s’appelle maintenant Jazzoux, dont je suis très enthousiasmé par les premiers résultats ! Je dirais qu’on mélange différents styles comme la noise, la techno et l’electronica avec une pointe de dérision. On espère réussir à faire une sorte de jazz de machines du futur.
J’ai pu aussi faire une résidence au Confort Moderne à Poitiers, et à l’Autre Canal à Nancy pour mon duo Od Bongo avec Edouard de C_C. Nous avons entamé la création d’un live spécial qui sera un show lumière immersif créé par deux régisseurs lumières de Poitiers, Louis et David.
D’autre part, j’ai aussi commencé un nouveau duo avec un ami écrivain et musicien, François Fournet : on commence à produire une musique électronique assez dansante, avec des rythmiques coupé-décalé juxtaposées à des mélodies plus mélancoliques.
Vous travaillez sous différents pseudos, pouvez-vous nous les présenter ?
J’emploie mon nom et prénom, Amédée De Murcia, lorsque je tente une incursion vers les territoires de la musique électro-acoustique, comme pour le disque que j’ai sorti sur Tanzprocesz “Mangé par les oiseaux”, qui utilise différents dispositifs de larsens de pédale d’effets ainsi que des appeaux pour oiseaux. J’ai aussi utilisé mon nom et prénom lorsque je m’amusais à utiliser le champ électromagnétique d’une perceuse, pour un concert lié à une exposition à la galerie L’œil de bœuf à Lyon, tandis que le pseudo “Roger West” était une courte tentative dans un univers proche de la vapor wave, du plunderphonic et de la house lo-fi. Mais actuellement en solo, j’utilise surtout mon alias Somaticae, alias que j’emploie en réalité depuis mes débuts. Pour synthétiser, je dirais que c’est le pseudo que j’utilise lorsque je mélange des rythmes, des bruits, des sons concrets, avec parfois des mélodies plus ou moins dissonantes. Le résultat est un croisement entre techno, noise, electronica, dub, ambient, industriel, mais aussi électro-acoustique.
Vous êtes sur de nombreux labels, dans des formats toujours différents, chez Fougère et Third Type Tapes en K7, sur In Paradisum en vinyle, sur Tanzprocesz en cd ; le support physique conserve une importance pour vous ?
Le support physique me plait toujours car j’aime beaucoup demander à des ami.es artistes visuel.es dont j’admire le travail de créer mes pochettes. J’ai ainsi eu la chance d’avoir une pochette de K7 par Willy Tenia de Kakakids Records pour “Le premier matin”, ou encore le graphisme du vinyle “Amesys” par Alban de Liquide Test Press.
Vous faites de la musique depuis votre enfance, quelle autre passion/activité vous anime ou occupe votre temps ?
Pour être honnête cette passion a absorbé toutes les autres depuis longtemps, et je ne sais pas faire grand-chose d’autre. Presque toutes mes activités tendent vers la musique. Par exemple, parfois j’aime bien organiser des concerts (dans le collectif Si), m’occuper d’un fanzine musical avec des amis (Fond De Caisse), ou encore prendre des photos de la petite vie musicale et alternative que je fréquente entre la France, la Belgique et la Suisse.
Pour Oligarchie, les bénéfices étaient reversés, pour Amesys* aussi, c’est important de vous engager ?
Oui, à ma petite échelle d’artiste j’ai parfois souhaité afficher mon engagement dans différentes luttes que je soutiens. Les bénéfices de la K7 “Oligarchie” étaient reversé à une caisse de solidarité lyonnaise qui aide les victimes de violences policières, tandis que les bénéfices d’”Amesys” seront reversés à la quadrature du net, une association qui lutte contre la surveillance de masse favorisée par différents logiciels.
*Amesys est le nom d’une entreprise française, fleuron technologique « responsable des technologies logicielles de surveillance utilisées par plusieurs dictatures à travers le monde »
Le quotidien Libération vous présente comme « l’un des explorateurs du boucan français », ça représente quoi pour vous ? Le public augmente, l’écoute sur Bandcamp explose ? Les ventes ? Une suite de projets s’empile dans votre boite mail ?
J’ai la chance d’avoir eu quelques articles dans de la presse (spécialisée ou non), d’avoir joué dans quelques festivals avec de l’affluence, mais malgré cela je reste conscient du fait que ma musique reste et restera toujours confidentielle. Donc évidemment non, pas d’explosions de vente, de likes ou d’écoutes. Mon but est de faire de bons morceaux, de bons albums et de bons concerts, qui je l’espère inspireront certain.es comme certain.es m’ont inspiré. Et puis peut-être que de cette manière, je serais un jour reconnu plutôt que connu. Par contre j’ai toujours pas mal de projets sur le feu, en effet !
Vous jouez et vous avez joué dans de nombreux lieux où la programmation est pointue, et le public « spécialiste » ou ultra curieux. Vous arrive-t-il de jouer dans des lieux moins habituels ? Pour un projet particulier, pour un public différent ?
Il est vrai que pour l’heure je n’ai pas souvent rencontré un public diffèrent de celui de la musique de spécialiste, même si suivant les lieux ce public change : ce ne sont pas toujours les mêmes personnes lorsque je joue dans un squat, une galerie, une salle alternative ou encore une SMAC. En tout cas, passer d’un lieu à l’autre reste très stimulant.
J’aimerais un jour rencontrer le monde de la danse contemporaine et son public, car c’est un univers qui m’intrigue et qui m’est encore bien étranger.
Sinon, j’ai eu le plaisir de jouer dans la rue avec le projet DAB, projet où nous rendons audible le champ électromagnétique des distributeurs de billets de banque avec Jérôme Finot et d’autres amis. J’ai aussi réalisé une performance amusante avec un autre ami, Romain De Ferron, où nous jouons à partir d’une Peugeot 205 amplifiée par divers micros. Cette performance appelée “Sacré Numéro” ne peut pas se jouer partout, comme on peut le deviner. À l’avenir, si nous nous amusons à reproduire cette performance, nous pourrions peut-être la jouer pour du théâtre de rue, mais c’est là encore un monde que je connais bien peu.
Pouvez-vous nous confier l’évènement qui vous a marqué dans votre carrière/parcours musical ?
Je pense que l’un des évènements qui m’a marqué fut la rencontre avec un lieu alternatif de musique et de film expérimental à Grenoble, lorsque j’étais étudiant : le 102 rue d’Alembert.
J’ai vu là-bas des artistes utiliser de vielles machines en les détournant : par exemple des projecteurs 16 millimètres projetant de la pellicule détériorée en live, des enregistreurs à bandes bouclées sur eux même, des jouets pour enfants circuit-bendés, des improvisations vocales acoustiques, ou encore un énorme tambour dont la peau était frottée avec une cymbale, etc… et on peut ajouter à ces découvertes le documentaire expérimental, le vin naturel, la nourriture vegan ou encore la sérigraphie ! Donc on peut dire que j’ai fait mes premières classes dans le DYI au 102.
Enfin, auriez-vous un disque sorti cette année, à nous recommander ?
Alors la chose la plus récente que j’ai adorée en musique, ce n’est pas un disque. C’est le streaming d’un concert de Jessica Ekomane au Haus der Berliner Festspiele. Dans ce festival en l’honneur d’Halim El-Dabh, pionner arabe de la musique électronique, elle joue sa pièce « Une musique enrichie par des traditions venues du fond des âges ». J’ai beaucoup aimé le minimalisme, la simplicité de sa musique lors de ce concert. Il me semble qu’elle travaille sur ordinateur avec un logiciel modulaire où on peut construire sa musique avec des lignes de codes, des algorithmes. Pourtant, le résultat est très différent des autres auteurs de ce style (je pense à Renick Bell, glacial et mental). Ici la musique n’est pas tellement froide et moderne, mais plutôt douce et chaleureuse. Il y a quelque chose d’un peu 70’s qui me rappelle le sentiment qu’on peut éprouver en écoutant les plus beaux morceaux de Laurie Spiegel. C’est intelligent sans être chiant, et on peut écouter distraitement comme attentivement. Bref, j’espère que ça sortira en disque !
Photo © Delphine Ménoret
Article paru dans le Magazine Wave 2021